L’écriture est une aventure. Certains s’y lancent après de longues préparations alors que d’autres prennent ce chemin sans la moindre idée de là où il va les mener. Mais chaque fois, le trajet est long. Dans Journal d’un écrivain en pyjama, l’académicien Dany Laferrière nous explique que « la première qualité d’un écrivain, c’est d’avoir de bonnes fesses ». C’est en effet une chose à bien intégrer : écrire demande du temps. Beaucoup de temps.
Si passer beaucoup de temps à l’écriture d’un livre est indispensable, ce n’est cependant pas suffisant. Cela nécessite un certain nombre de prérequis qui peuvent varier en fonction du style de chaque auteur et des sujets abordés. Pour aider ceux qui aspirent à se lancer, des ateliers d’écriture et masterclass proposent de partager des techniques d’écriture.
Devant ce qui ressemble à des montagnes à escalader, il pourrait paraître plus simple de commencer par écrire un livre pour enfants. Cela n’est qu’une illusion car écrire pour la jeunesse demande la même rigueur que pour écrire un livre destiné aux adultes, tout en ayant certaines spécificités.
Les techniques pour écrire un livre
Comme dans tout domaine, il existe des méthodes et des ficelles pour écrire un livre. Ecrire est aussi une technique, même si ce n’est évidemment pas qu’une technique. Mon propos n’est pas de détailler ces méthodes qu’il est possible de retrouver un peu partout sur le web pour : trouver un sujet, créer ses personnages, soigner son incipit, structurer son histoire, se relire ou encore faire différents exercices d’écriture.
Avec un peu de volonté, de discipline et de persévérance, il est tout à fait possible d’effectuer ces exercices par soi-même sans avoir à dépenser beaucoup d’argent. Mais ce qui manquera au final, c’est un œil extérieur aiguisé pour vous faire un retour sur le résultat. Il faut que cela soit quelqu’un d’avisé, de bien veillant et dont vous reconnaissez l’expertise, ce qui n’est pas facile à trouver.
Il existe aussi des ateliers d’écriture. Pour cela, il faut accepter le partage avec d’autres personnes des choses non abouties, ce qui n’est pas aisé pour tout le monde. Une autre condition nécessaire est d’accepter de jouer le jeu de l’atelier en s’impliquant dans le groupe et les productions des autres participants. Cela ne coule pas toujours de source pour un auteur aspirant à la solitude de l’écriture et peut même être vécu comme une perte de temps.
Il se développe également des masterclass d’écriture où des écrivains célèbres viennent vous révéler leurs « secrets » d’écriture. Ils trouvent là un bon moyen de faire parler d’eux et de gagner parfois plus d’argent qu’en écrivant un livre. Mieux vaut être Parisien si l’on souhaite pouvoir suivre un atelier d’écriture. Et avoir un petit pécule à y consacrer car les prix sont élevés.
Si toutes ces choses ne sont pas à inintéressantes, elles ne sont selon moi pas essentielles car ce qui compte avant tout pour écrire un livre c’est d’avoir quelque chose à dire.
Avoir une histoire à raconter
Pour écrire un bon livre, il n’y a qu’une seule recette : avoir quelque chose à dire ou à raconter. Une histoire ou une émotion à exprimer. Il n’est pas nécessaire d’avoir un demi-siècle de vécu derrière soi pour cela. Une ado qui exprime des choses vécues dans son enfance peut écrire un très bon livre.
A mes débuts d’auteur jeunesse, j’étais tombé sur un éditeur qui vendait des bouquins comme un camelot vend des casseroles sur une foire commerciale. La roulette du commerce s’était arrêtée pour lui sur « Livres » alors qu’à une case près, il aurait fait carrière dans le matelas. Un jour, il m’avait proposé d’écrire sur un thème particulier parce que « ça se vendait bien ». J’ai bien évidemment décliné parce que ce sujet ne faisait pas écho en moi.
C’est pourquoi je me méfie de ces auteurs professionnels que le système du monde de l’édition contraint à sortir un roman chaque année afin de rester visible et surfer à fond la vague de la notoriété sur laquelle un précédent ouvrage a réussi à les positionner. Même s’il y a toujours des exceptions, cette production à marche forcée ne peut pas être homogène en qualité. L’auteur a besoin de se ressourcer, de quitter sa table d’écriture pour repartir voyager et vivre des choses à raconter. Ceux qui me passionnent, ce sont les écrivains aventuriers de la trempe de Karen Blixen ou de Joseph Kessel, pour n’en citer que deux. Ce ne sont pas des écrivains sédentaires. Chez eux, aventure et littérature sont deux affaires indissociables.
Pour certains écrivains, notamment ceux qui écrivent des livres historiques, ce voyage peut être effectué par la lecture de livres et d’archives qui vont les nourrir pour leurs prochains écrits. Mais dans les deux cas, cela demande une prise de recul et un départ pour l’aventure. Une aventure durant laquelle, il y aura certainement des prises de notes.
Prendre des notes
La manière de préparer son sujet distingue là aussi deux grandes manières d’écrire un livre pour enfants ou pour adultes. Il y a ceux qui ont une idée générale du livre qu’ils veulent écrire, connaissent le début mais n’ont encore aucune idée du milieu ni de la fin. C’est au fil de l’écriture que leur histoire se construit et se développe. Les personnes qui ont cette façon d’écrire un livre m’impressionnent toujours beaucoup.
En ce qui me concerne, ce n’est pas du tout ma manière de travailler. Je suis un adepte de la prise de notes. Quand j’interviens dans une école pour expliquer à une classe comment né un livre pour enfants, de l’idée jusqu’à l’arrivée en librairie, je commence toujours par leur montrer la liasse de feuilles de papier que j’ai toujours dans la poche arrière de mon pantalon. Ce sont des feuilles de formes et de tailles variées, des versos de prospectus, des pages de cahiers, jusqu’à parfois des morceaux de cartons d’emballage si je n’ai rien trouvé de mieux. Car j’aime coucher sur le papier une idée dès qu’elle me vient. J’en ai besoin pour me sentir libéré et pouvoir penser à autre chose. Ces idées ne sont pas toujours liées à une histoire à raconter, elles peuvent plus simplement se rapporter à un projet que je suis en train de réaliser. Pas besoin d’avoir un esprit trop critique à ce moment-là. Ce qui compte c’est de retranscrire fidèlement l’idée en laissant à plus tard le fait de décider si elle est intéressante ou pas.
Quand ce paquet de feuilles devient trop épais dans ma poche, je commence à tout déplier, trier et retravailler. Certains de ces papiers finissent directement à la poubelle, d’autres font doublon ou se complètent. Tout ceci va venir enrichir un manuscrit ou remplir la première page de notes pour l’écriture d’un nouveau livre pour la jeunesse. Ces notes, selon le temps et l’envie que j’ai devant moi, peuvent aller d’une simple idée pour l’orientation de l’histoire jusqu’à un passage entier rédigé en détail, en passant par une réplique cinglante ou un bon mot que j’ai absolument envie de placer. Avec cette manière de travailler, j’ai constamment en cours une bonne dizaine de textes plus ou moins aboutis. Certains sont en chantier depuis des années. Sachant que je fonctionne également ainsi pour rédiger des articles sur différents blogs, cela représente un certain volume.
Et quand l’envie m’en prend, quand les conditions me semblent réunies, je reconstitue ce puzzle et je le complète. C’est ainsi que généralement, j’écris le texte d’un album des aventures de la Petite Souris en une matinée, parfois moins. Si les idées peuvent survenir en toutes situations et en tous lieux, pour écrire j’ai besoin de calme et de ne pas avoir de contraintes de temps. C’est difficile à trouver dans ma vie de tous les jours. C’est donc souvent pendant les vacances que je finalise l’écriture de mes histoires.
Je ne prétends pas que c’est la meilleure méthode pour écrire un livre pour enfants, mais c’est celle que j’emploie. D’autres auteurs fonctionnent ainsi pour écrire des livres, des articles ou même des chansons. Francis Cabrel raconte avoir écrit sa chanson « La corrida » à partir d’une seule phrase de départ « ce soir la femme du toréro dormira sur ses deux oreilles ».
Ecrire le jour ou la nuit ?
Chez les écrivains comme chez tous les êtres humains, il y ceux qui sont du soir et ceux qui sont du matin. Personnellement, je fais partie de la seconde catégorie. J’aime me lever à l’aube quand la maison est silencieuse pour coucher sur le papier les idées qui me sont venues sur le matin dans un demi-sommeil. Comme seul compagnon d’écriture, j’ai sur mon bureau un verre de jus de pomme. C’est peut-être pour cela que j’écris des livres pour la jeunesse. Si j’écrivais tard dans la nuit avec un verre de whisky, je noircirais certainement les pages d’un polar très noir.
Si je n’écris pas toutes ces idées sur le moment, j’ai peur de les voir s’envoler. Car selon moi, ce sont les idées qui comptent le plus. Reste ensuite à choisir les mots pour les exprimer. La langue française offre pour cela un vocabulaire très riche où chaque mot a un sens bien précis. A l’école primaire, j’étais passionné par le vocabulaire et beaucoup moins par la grammaire. J’espère que ce dernier point ne se remarque pas trop dans ce que j’écris 😉
J’ai un toc ou un tic ou un truc, je ne sais pas bien, qui me pousse à parfois changer la tournure d’une phrase pour la terminer sur un mot qui rime avec un précédent. Cela s’oppose parfois à l’envie d’écrire le mot le plus juste pour décrire une chose. Nous avons tous nos petites contradictions.
Les spécificités d’écriture d’un livre pour enfants
Une idée fausse consiste à penser qu’il est plus facile d’écrire un livre pour enfants qu’un livre pour les grandes personnes. Je dirais même qu’au contraire c’est une discipline encore plus exigeante car elle demande de veiller à encore plus de choses. Plusieurs auteurs aguerris et reconnus m’ont dit avoir essayé d’écrire un livre pour enfants et ne pas avoir « trouvé le truc » et ne pas réussir à tenir dans le format imposé et manquer de liberté pour raconter leur histoire.
Quel vocabulaire employer ?
Si certains sujets et certaines scènes ne sont pas appropriés à la lecture pour des enfants, ce n’est pas pour autant qu’il faut tomber dans la simplicité. Il faut faire attention aux tournures de phrases mais sans renoncer à un vocabulaire riche. Mieux vaut employer un mot un peu moins courant et en donner la définition avec un astérisque en bas de page que de trop simplifier son vocabulaire et ses expressions.
Où trouver ses des idées pour écrire un livre pour enfants ?
Tout autant que dans la littérature pour adultes, un auteur jeunesse peut (et doit) avoir recours à ses aventures personnelles pour écrire un livre. Le premier de mes livres à avoir été publié répond aux questions que me posait ma fille Lili-Rose lorsqu’elle avait quatre ans. Mon roman jeunesse intitulé La balade de Prisca, raconte une histoire vraie que j’ai vécue avec mes deux filles ainées et qui nous a profondément marqué. Et sans que cela ne transparaisse pour le lecteur, les albums jeunesse racontant les aventures de la Petite Souris sont aussi basés sur des souvenirs personnels.
Rien de tel que de lire des histoires à des enfants et de parler ensuite du livre avec eux pour comprendre comment les intéresser à un sujet, ce qui les fait rire, ce qui fait qu’ils vont bien retenir certaines choses… C’est que j’ai eu le bonheur de faire chaque soir avec mes trois filles pendant des années. Cela faisait de nous de grands dévoreurs de livres pour enfants. Nous étions de bons clients de la librairie et de la bibliothèque. Il était étonnant de voir à quel point certains livres étaient tout de suite plébiscités. Mes enfants demandaient à les lire tous les soirs et avaient parfois de la peine à les rendre à la bibliothèque en fin de semaine. Alors que pour d’autres c’était tout le contraire. Il fallait faire un effort pour en venir à bout et ils se trouvaient vite remisés sous le lit en attendant de débarrasser le plancher en fin de semaine. Et ce n’étaient pas toujours les livres provenant des maisons d’éditions les plus prestigieuses qui avaient la meilleure cote auprès des enfants.
Un livre pour enfants doit aussi plaire aux parents
Je n’ai jamais été directif dans le choix de leurs lectures. Je leur laissais le choix et l’envie de découvrir, les enfants savent ce qu’ils aiment. Certes, il faut aussi les guider comme on le fait pour la nourriture sinon, ils ne mangeraient que des pâtes et du jambon. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut leur interdire leurs plats préférés sous prétexte qu’ils ne sont pas assez ceci ou assez cela.
Il faut que chacun y trouve son compte. Selon moi, un bon livre pour enfants est avant tout celui qui réussit à plaire aux petits et aux grands. Le plaisir de lire est contagieux. Si l’adulte aime l’histoire qu’il est en train de lire avec son enfant, ce dernier le sentira et cela renforcera son intérêt et son plaisir de lecture.
L’importance des illustrations dans un livre pour enfants
Les albums jeunesse et livres pour enfants contiennent de l’illustration. Celle-ci tient un rôle primordial car elle doit illustrer ce qui est dit dans le texte afin d’aider les enfants à comprendre l’histoire, mais sans ne faire que la répéter platement. Elle doit compléter le récit en apportant des détails supplémentaires et tout un tas de choses qui auraient nécessité de longs paragraphes de descriptions. En ce qui me concerne, je suis particulièrement gâté de pouvoir travailler avec un illustrateur aussi talentueux qu’Olivier Bailly. Il faudra que j’y revienne dans un autre article de blog.
Pour les premiers romans et romans jeunesse, il n’y a plus comme illustration que le dessin de couverture. Celui-ci a un rôle essentiel car il doit donner envie de lire l’histoire pour en savoir plus mais aussi fournir des détails qui prendront tout leur sens au fur et à mesure de l’avancée dans le récit. C’est par exemple ce que l‘on retrouve sur la couverture de mon roman qui se déroule à Cassel dans le Nord de la France et qui illustre de nombreux éléments de l’intrigue.
Finalement, que l’on soit du soir ou du matin, que l’on procède en assemblant un puzzle ou en écrivant d’un seul jet, deux seules choses comptent vraiment pour l’écriture d’un livre pour enfants : Avoir quelque chose à raconter et une envie folle et durable de le faire. Car l’écriture d’un livre demande de la passion, de la patience et beaucoup de ténacité.