Quand Anatole France écrivait à Saint-Valery-sur-Somme

Les maisons où ont séjourné des artistes sont intéressantes pour leur histoire mais aussi parce que leurs occupants y avaient décelé des attraits particuliers. Sans le savoir, j’ai loué pour les vacances, une maison dans laquelle un illustre écrivain avait logé pour y produire une partie de son œuvre. Celle-ci se trouve à Saint-Valery-sur-Somme le long du quai face à la Baie. Cela m’a rappelé une aventure similaire précédemment vécue dans une maison où avait été tourné le clip d’un chanteur célèbre. Ce parallèle fait ressortir un changement d’époque et l’immensité du domaine culturel.

Anatole France à Saint Valery sur Somme

Saint-Valery-sur-Somme et les artistes

Occupé par l’homme depuis la préhistoire, l’endroit attire également les artistes. De nombreux peintres en ont saisi la lumière et les couleurs si douces, comme par exemple Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme qui a peint une soixantaine de toiles sur la baie et la ville.

Des écrivains sont également venus à Saint-Valery comme Victor Hugo qui s’est inspiré de son port pour écrire son poème Oceano Nox, paru en 1840 dans le recueil Les rayons et les ombres et dont la première strophe commence ainsi :

« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ? »

En 1886, Anatole France a séjourné à Saint-Valery pour rédiger son livre « Pierre Nozière » qui renferme de nombreuses descriptions de la ville. Pour cela, il s’était installé quai Blavet face à la baie.

C’est précisément cette maison que j’ai louée durant l’été. L’épaisseur des murs en pierre offrant de larges appuis de fenêtres, je m’y installais souvent pour admirer la baie et ses couleurs changeantes. C’est de là que j’ai pu remarquer que des passants s’arrêtaient parfois pour fixer un point situé sous mes fenêtres. C’est ainsi que j’ai découvert la plaque commémorative en marbre qui rappelle que derrière ces fenêtres en l’an 1886, l’écrivain Anatole France a médité et rédigé « Pierre Nozière » et en partage une citation :
« De la chambre où j’écris on découvre toute la baie de Somme … Un vent salé fait voltiger les papiers sur ma table et m’apporte une acre odeur de marée. »
C’était à l’époque où le littoral picard venait d’être touché par la mode des bains de mer.

Une maison dédiée à Anatole France

Notre hôtesse valéricaine a très joliment décoré l’intérieur de ce logement qu’elle a appelé « Chez Anatole ». Ce nom ne m’avait pas interpelé tant il est fréquent que des anciennes bâtisses transformées en chambres d’hôtes ou locations de vacances prennent le nom de l’aïeul qui y vivait autrefois. Et tout comme il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin, il n’y a pas qu’un grand-père qui s’appelait Anatole.

Si j’avais pris le temps de regarder de plus près le cadre au mur sur lequel étaient accrochés des livres anciens, tous d’Anatole France, j’aurais pu commencer à me douter de quelque chose. Mais à peine les valises posées après un trajet sous une forte chaleur, mon estomac m’avait suggéré d’aller déguster une ficelle picarde arrosée d’une bière locale.
Ce n’est qu’après un bon repas que j’ai pu découvrir qu’hier dans cette maison Anatole France écrivait un roman et qu’aujourd’hui des vacanciers y écrivent des cartes postales et parfois un article de blog.

Ne me lassant jamais d’admirer cette jolie baie aux camaïeux tantôt de vert, tantôt de bleu, je passais de longs moments assis à la fenêtre. Cela m’a donné également l’occasion de voir qui s’intéressait à l’histoire de cette maison. D’après mes observations, il s’agissait principalement de personnes un peu avancées en âge. Et si j’en ai vu certaines prendre la façade en photo, il faut reconnaître que la plupart des badauds qui s’arrêtaient à cet endroit le faisaient pour lire le menu de la pizzeria voisine. Anatole ne semble plus autant faire recette qu’il y a une centaine d’années. Ainsi va la vie.

Vue sur la baie de Somme
Livres anciens d'Anatole France

Un chanteur pop versus un écrivain de la troisième république

Tout ceci m’a rappelé que par un curieux hasard il m’était déjà arrivé, toujours sans le savoir, de louer pour des vacances une maison devant laquelle les gens venaient se prendre en photo. C’était à Galway sur la côte ouest de l’Irlande. Dans une maison bleue située sur le port, le long des quais. Mais cette fois-là, le public était plus nombreux et plus jeune. Les selfies allaient bon train devant la maison. Sans le vouloir, j’ai même causé quelques photobombs car en sortant de la maison, il m’est arrivé de me retrouver dans le champ de photos en train d’être prises.

Nous ne comprenions pas pourquoi tant de monde s’intéressait à cette maison et allait même parfois jusqu’à regarder par les fenêtres du rez-de-chaussée. Mais cette fois, il n’y avait aucune plaque sur la façade donnant des indications. Ce sont mes filles qui ont découvert que cette maison apparaît à la fin du clip de la chanson Galway Girl du chanteur britannique Ed Sheeran. Cette chanson raconte une folle nuit dans les rues et pubs de Galway (qui sont fort nombreux) qui se termine le lendemain matin dans cette maison face à la mer.

Une chanson à l’accent celtique avec un rythme entraînant et ce refrain :

« She played the fiddle in an Irish band
But she fell in love with an English man
Kissed her on the neck and then I took her by the hand
Said, « Baby, I just wanna dance » »

Finalement, cette chanson a plus fait pour la promotion de Galway que toute autre campagne organisée par son office de tourisme.

Galway en Irlande

Maisons sur le port de Galway en Irlande

Maison du clip Galway girl

Mes Galway girls à la fenêtre de la maison

A part Google plus personne ne peut avoir une connaissance élargie du domaine culturel

Une bonne partie des personnes qui se photographiaient devant la maison où était passé leur chanteur favori n’avaient jamais entendu parler d’Anatole France. Et réciproquement, le nom de ce jeune anglais était inconnu pour beaucoup de ceux qui s’arrêtaient là où avait ouvré l’écrivain. Chacun doit se résoudre à voir des pans entiers de culture qui lui sont totalement inconnus. Aujourd’hui, il n’est plus concevable de tout connaître, même superficiellement. Le domaine culturel s’est considérablement élargi avec bien entendu l’accumulation au fil des années de la production littéraire et artistique, l’ouverture aux cultures des autres pays et l’émergence de nouvelles disciplines et courants. Le tout amplifié par des moyens techniques de conservation et de diffusion sans cesse plus performants et accessibles. Quand on est curieux et ouvert aux découvertes, il est frustrant de se dire que l’on restera inévitablement ignorant de choses parfois fort intéressantes.